Christiane Taubira |
La loi Taubira, adoptée définitivement le 10 mai 2001 par le Parlement, reconnaît la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité.
Elle est issue d’une proposition de loi dont Christiane Taubira, députée de Guyane est l’auteur et le rapporteur, présentée à la tribune de l’Assemblée Nationale.
Extraits :
Le sujet dont nous nous sommes emparés n’est pas objet froid d’étude.
Parce qu’il s’écoulera encore quelques temps avant que ne s’adoucisse la
blessure profonde qu’irrigue une émotivité inassouvie, parce qu’il peut être
rude d’entendre décrire certains aspects d’une tragédie longue et
terrible ; parce que l’histoire n’est pas une science exacte, mais selon
Fernand Braudel “toujours se faisant et se dépassant” ; parce qu’enfin, la République est un
combat comme nous l’enseigne Pierre Nora, je veux d’abord dire ce que n’est pas
ce rapport.
Il n’est pas une thèse d’histoire, ne prétend à aucune exhaustivité
et ne vise à trancher aucune querelle de chiffres mais reprend les seules
données qui ne font l’objet d’aucun litige.
Ce rapport n’est pas le script d’un film d’horreur, faisant
l’inventaire des chaînes, des fers, carcans, entraves, menottes et fouets
conçus et perfectionnés pour déshumaniser.
Il n’est pas non plus un acte d’accusation : la culpabilité
n’est pas héréditaire et nos intentions ne sont pas de revanche.
Il n’est pas requête en repentance. Nul n’aurait l’idée de demander
un acte de contrition à la
République laïque dont les valeurs fondatrices nourrissent le
refus de l’injustice.
Ce n’est pas un exercice cathartique car les arrachements intimes
nous imposent des tenaces pudeurs.
Il n’est pas non plus une profession de foi car nous aurons encore à
ciseler notre cri de foule. Pourtant nous allons décrire le crime, l’œuvre
d’oubli, le silence et dire les raisons de donner nom et statut à cette
abomination.
(…)
Nous sommes ici pour dire ce que sont la traite et l’esclavage ;
pour rappeler que le siècle des Lumières a été marqué par une révolte contre la
domination des Eglises, une revendication des droits de l’homme, une forte
demande de démocratie, mais pour rappeler aussi que c’est entre 1783 et 1791
que le commerce triangulaire a connu son apogée ; que si l’Afrique
s’enlise dans le non-développement, c’est aussi parce que des générations de
ses fils et de ses filles lui ont été arrachées ; que si la Martinique et la Guadeloupe sont
dépendantes de l’économie du sucre, si la Guyane a tant de mal à maîtriser ses richesses
naturelles, si la Réunion
est forcée à commercer si loin de ses voisins, c’est le résultat direct de
l’exclusif colonial ; si la répartition des terres y est aussi
inéquitable, c’est la conséquence du régime d’habitation.
La traite et l’esclavage sont un crime contre l’humanité et les
textes juridiques ou ecclésiastiques qui les ont organisés percutent la morale
universelle. Ce sont nos idéaux de justice, de solidarité, de fraternité qui
nous font dire que le crime doit être qualifié et inscrit dans la loi qui seule
dira la parole solennelle au nom du peuple français. Cette parole officielle et
durable constitue une réparation symbolique la plus pressante de toutes. Mais
elle induit une réparation politique, par la prise en considération des
fondements inégalitaires des sociétés d’outre-mer liées à l’esclavage et aux
indemnisations des colons après l’abolition.
Elle suppose également une réparation morale pour mettre en pleine
lumière la chaîne de refus de ceux qui ont résisté en Afrique, des esclaves
marrons qui ont conduit la résistance aux colonies, de villageois et d’ouvriers
français, des philosophes et abolitionnistes. Cette réparation conjugue les
efforts pour déraciner le racisme. S’attaquer aux sources des affrontements
ethniques, affronter les injustices fabriquées.
Elle suppose une réparation culturelle notamment par la
réhabilitation des lieux de mémoire.
(…)
Mais nous allons cheminer ensemble, dans notre diversité, instruits
de la certitude merveilleuse que si nous sommes si différents, c’est parce que
les couleurs sont dans la vie comme la vie est dans les couleurs ;
conscients aussi que lorsque les cultures et les dessins s’entrelacent, il y a
plus de vie et de flamboyance; Nous allons donc continuer à mêler nos dieux et
nos saints, nous allons implorer ensemble l’Archange, Echu, Gadu, Quetzalcôatl,
Shiva et Marienin (Applaudissements sur tous les bancs).