Mes chers collègues,
Du fond du cœur, merci. Merci pour
l’honneur, merci pour la charge que vous me confiez aujourd’hui en
m’élisant 12e président de l’Assemblée nationale sous la Vème
République.
Je veux d’abord dire tout mon respect,
toute ma déférence à mes onze prédécesseurs. A ceux qui sont ici,
siégeant dans cet hémicycle, et que je salue : Henri EMMANUELLI, Patrick
OLLIER, Bernard ACCOYER. A ceux qui sont ailleurs, œuvrant à d’autres
tâches : Louis MERMAZ, Laurent FABIUS, Jean-Louis DEBRÉ. A ceux qui sont
là-haut : Jacques CHABAN-DELMAS, Achille PERETTI, Edgar FAURE. Et
permettez-moi une pensée un peu particulière pour Philippe SEGUIN et
Raymond FORNI avec lesquels je partage, pour le premier, une naissance
de l’autre côté de la Méditerranée, et pour le second, des racines
italiennes et quelques unes des étapes du parcours républicain.
Tous, avec leur tempérament et par-delà
les engagements partisans, ont servi l’institution parlementaire avec la
même passion. J’entends marcher dans ces pas.
***
Mes chers collègues, je me tiens devant
vous et je regarde vos visages. Des visages de tous les genres, de tous
les âges, de toutes les couleurs de la France. De la ville et des
campagnes.
De la métropole et des Outre-mer – à qui
j’adresse ma chaleureuse amitié tant je les connais et tant je les
aime. Et, pour la première fois, des Français de l’étranger. Et tandis
que je vous regarde, je réalise, comme vous, que c’est le visage de la
France qui est en train de changer.
Je sais l’émotion un peu nouvelle qui
peut vous étreindre, vous, jeunes députés fraichement élus. Le sentiment
que le poids de l’institution et de ses rites pourrait presque vous
écraser ; que l’éclat des ors de la République pourrait presque vous
aveugler. Vous apprendrez en très peu de temps que les ors des palais se
ternissent toujours plus vite que les valeurs de la République, dès
lors que nous savons les servir, les protéger, les chérir. Et c’est à
cet instant précis que chacun d’entre vous deviendra le garant de ces
valeurs qui sont, pour tous les Français et au-delà, autant de repères
historiques et moraux.
La Liberté. D’aller et venir. De penser, de dire, de contredire.
L’Egalité. Pas l’égalitarisme – il n’a
pas sa place dans la méritocratie républicaine. Ni l’égalité des chances
car le succès ne saurait se jouer sur un coup de dés. Simplement
l’Egalité, celle qui donne à chacun, quelle que soit sa naissance, le
droit et les moyens de réussir sa vie.
La Fraternité. Pas pour se ressembler, mais pour nous rassembler.
La Laïcité. Non pour punir, mais pour unir ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas.
La tentation de s’affranchir de ces
valeurs est forte lorsqu’un pays connaît des heures difficiles, et
singulièrement quand la morsure d’une crise sociale fait sentir son
emprunte.
Alors, mes chers collègues, prenons
garde : notre Assemblée elle-aussi a ses fêlures. Lorsqu’elle a cru
pouvoir oublier son histoire, lorsqu’elle a jugé bénin d’oublier ses
valeurs, elle a oublié la République. Elle s’est oubliée elle-même.
Gardons gravés en mémoire le courage et
l’honneur qui furent ceux de ces parlementaires qui, avec Léon Blum,
refusèrent de se saborder. Ce n’était pas simplement la fin d’un régime
ou d’une Constitution qu’ils ont récusées en refusant les pleins
pouvoirs à Philippe Pétain.
Non, ils ont aussi refusé que le «
Travail, Famille, Patrie » ne vienne remplacer les valeurs républicaines
de « Liberté, Egalité, Fraternité ». On ne sépare pas la République de
ses valeurs sans la tuer.
Gardons gravés en mémoire les noms de
Georges Mandel, de Pierre Mendès-France, de Jean Zay et de tous les
députés qui, dans la chaleur de l’été 40, préférèrent Bordeaux à Vichy,
pour embarquer sur le Massilia à destination de ce qui deviendrait la
France libre.
Au nom de cette histoire, au nom de ce
que nous sommes, dans nos comportements comme dans nos mots, j’attends
de chacun d’entre nous, dans cette enceinte, un total respect de ces
valeurs qui sont l’identité de la France. Parce que c’est ici que
poussent les racines de la République.
***
Mes chers collègues, je sais aussi l’émotion intacte, éternelle, qui embrasse le visage des députés plus expérimentés.
Chacun de vous siège ici par la volonté
du peuple. A l’heure où l’antiparlementarisme demeure une menace, je
veux vous rendre hommage, vous, femmes et hommes qui, bien qu’investis
de la mission de forger la loi, êtes souvent dans vos territoires – par
la force des choses et la blessure de la crise – la dernière porte
ouverte une fois que toutes les autres se sont closes.
Vous qui partagez un autre secret : le
goût de la loi. Lorsque je dis le goût de la loi, je dis l’amour du
travail que nous menons. Je parle de ces débats passionnés, de ces
textes aspirant au rang de science et de ces séances qui, dans leur
vitalité et parfois leur confusion, traduisent le bouillonnement et la
complexité de l’âme humaine. Et tant que nous adhérons à l’idée que le
plus grand privilège d’une société est qu’elle se donne à elle-même sa
propre règle de vie, alors ce travail que nous menons continuera d’être
le garant de la démocratie.
***
La démocratie, chers collègues… Les uns
et les autres, ne siégeons pas sur ces bancs par hasard. Nous formons
cet hémicycle au nom d’une vieille idée qui n’a jamais été aussi neuve.
Cette vieille idée, conquise dans le
sang et dans les larmes, bien des peuples du monde nous l’envient. Elle
porte le beau nom de démocratie.
La démocratie, plus que partout
ailleurs, c’est dans ce lieu que bat son cœur. C’est au nom de la
démocratie que la gauche y est aujourd’hui majoritaire. Je devine
l’impatience de cette majorité qui, dans toute sa diversité, partage la
volonté d’être à l’heure au rendez-vous du changement.
Je devine aussi le sentiment de
l’opposition à cet instant. C’est parce que je l’ai connu hier que je
lui fais aujourd’hui cette promesse : je serai un président protecteur
de vos droits. J’en ai la volonté et j’en ai le caractère.
Au nom de la démocratie, le peuple
français a confié à cette assemblée le soin de forger les grandes lois
du quinquennat et de les assortir du talisman de la justice. Justice
dans l’effort pour reconquérir la croissance ; justice dans la
redistribution de ses fruits.
Il nous confie aussi le devoir de
rassembler les Français. Pas simplement en proclamant des valeurs, mais
en donnant à ces principes un prolongement tangible dans leur vie et
celle de leurs enfants. Par l’école, par l’emploi, par la culture, par
le logement, par un développement plus respectueux de l’environnement.
Par une lutte acharnée contre le racisme et l’antisémitisme. Par le
refus des discriminations, qui est un corolaire de notre engagement
laïc. Par la présence du service public – le patrimoine de ceux qui
n’ont pas de patrimoine – notamment dans les territoires industriels qui
craignent le déclassement, à la campagne comme dans les quartiers
populaires.
Il nous confie enfin la charge de faire
résonner plus fort la voix de la France en Europe et dans le monde. Pour
porter haut les valeurs de paix et de démocratie. Pour faire triompher
aussi l’idée que le bonheur de quelques uns ne peut se faire au prix de
la dignité de tous les autres.
Même si tous ici, quel que soit leur
banc, ont cette destination en partage, chacun aura le loisir de
défendre l’idée qu’il se fait du chemin à emprunter pour l’atteindre.
Toutes les voix seront entendues, respectées. L’intérêt général sera
seul juge de paix.
***
Mes chers collègues, notre assemblée
suivra la feuille de route que nous ont confiée nos compatriotes, en
loyauté avec le Président de la République, le Premier ministre et le
gouvernement de la France. Elle le fera avec un seul dessein à l’esprit :
le redressement du pays. Elle le fera en tenant sa place. Toute sa
place.
La France est une République
parlementaire et je salue le soin que met le président de la République à
le réaffirmer. Dans la même inspiration, je souhaite que l’Assemblée
nationale soit pleinement respectée. Pour cela, efforçons-nous de la
rendre absolument respectable.
Notre assemblée doit vivre avec son temps. Plus que jamais, ayons à cœur d’en faire une « Maison de verre ».
Transparente, exemplaire, irréprochable. Parce que la force de la loi est subordonnée à l’exemplarité du législateur.
Féminisée, renouvelée, diversifiée.
Jamais notre assemblée n’a compté autant de femmes, une telle jeunesse
et tant de visages aux couleurs de la France. C’est déjà une fierté.
Mais c’est encore une exigence. Ouverte, aérée, vivante. Il nous faut
régénérer le lien entre l’Assemblée nationale et les corps
intermédiaires : collectivités locales, partenaires sociaux, monde de
l’entreprise, mouvement associatif.
C’est ainsi que nous parviendrons à en
faire « l’Assemblée pivot » dont le pays a besoin pour aller de l’avant.
Pour cela, je sais pouvoir compter sur le personnel de cette Maison
dont je salue en votre nom à tous, la grande qualité, l’absolue
neutralité et l’entier dévouement.
***
Chers collègues, j’en termine avec un mot plus personnel. Ce sera le seul.
Je sais d’où je viens. J’assume tout de ce que je suis.
Un fils de prolétaire. Un enfant de
Tunis. Né de père italien et de mère maltaise qui, un beau jour de 1960,
dût transiter en 24 heures d’une rive à l’autre de la méditerranée : de
l’odeur des orangers et de la caresse du soleil, à la vie des usines
qui rythmait alors le Pré-Saint-Gervais, ma ville d’adoption, en bordure
de ce département qui ne s’appelait pas encore la Seine-Saint-Denis.
Rien ne me destinait à m’élever. Rien ne
me vouait à me transcender. Rien, sauf, la République, ses valeurs, son
école, qui sont les seuls à pouvoir donner à des parents aimants, la
force de contrarier les mauvais destins.
Je dois tout à la République et je veux lui rendre aujourd’hui ce qu’elle m’a donné.
Vous représenter est la plus grande fierté de ma vie.
C’est, en même temps qu’un honneur, le règlement d’une dette envers mon pays.
Je ferai tout pour m’en rendre digne, et
pour qu’ensemble, nous fassions grandir encore dans notre pays, le goût
de la loi, l’amour de la démocratie et la foi républicaine.
Je vous remercie.