A quelques heures du début de l’Université d’été du Parti Socialiste, Claude Bartolone a donné une interview au journal Libération que nous vous proposons de lire ci-dessous.
Ce samedi se déroule à Bruxelles un conseil européen important. Qu’en attendez-vous?
Après les élections européennes calamiteuses qu’a connues le continent et avec une nouvelle commission, nous entrons dans un nouveau temps européen. J’attends de nos dirigeants européens qu’ils prennent en compte cette morsure que constitue la montée de l’extrême droite. L’Europe de la paix construite par les pères fondateurs ne suffit plus. Les seuls débats de répartition de postes, ce n’est plus acceptable pour les peuples européens.
Que demandez-vous?
Que l’Europe se hisse au niveau de l’histoire. Il y a un risque de déflation. De Mario Draghi au FMI, tout le monde nous exhorte à ne pas freiner la croissance. La banque centrale européenne (BCE) doit être plus active. Le plan d’investissement annoncé est beaucoup trop flou. Il nous faut de nouvelles mesures contre le chômage des jeunes. Ce sommet ne doit pas être un sommet de boutiquiers. En Europe comme en France, la question, ce n’est pas le casting, c’est le scenario : quelle orientation pour quelle destination ?
Au-delà d’une suspension des règles européennes, faut-il aller jusqu’à une réouverture des traités?
Je n’écarte pas cette idée. Si l’on veut vraiment inscrire le projet européen dans la durée, il faudra bien renégocier les traités. Mais aujourd’hui, nous sommes dans le temps des politiques et des mesures d’urgence (contre le chômage des jeunes, pour la croissance, l’investissement et l’environnement), pas dans celui de l’institutionnel et des diplomates.
En avril 2013, vous aviez été très critiqué pour avoir osé parler de «confrontation» avec l’Allemagne. Pourquoi est-ce si compliqué de politiser ce débat?
Je crois qu’il y avait à ce moment-là un tabou. Il semble à présent levé. La confrontation politique est nécessaire avec – j’insiste – nos amis et indispensables partenaires allemands. Prenons la question démographique : nos voisins ont une population vieillissante qui privilégie la rente quand la France, dont la natalité est forte, a besoin d’investissements. Pour qu’un compromis naisse, chaque partie doit défendre sa vision et ses arguments.
N’est-il pas contradictoire de demander plus d’investissements à l’Europe et dans le même temps pratiquer en France une politique de rigueur?
Pour être exemplaires vis-à-vis de nos voisins, nous devons accélérer la modernisation de notre appareil productif et de notre protection sociale. Mais pour cela, l’Europe ne doit pas faire rouler le tapis en sens inverse! L’Allemagne doit être consciente que si ses voisins sont ruinés, plus personne n’achètera ses produits. Lorsque j’ai dit non aux 3%, ce n’était pas pour laisser filer la dette et les déficits mais pour laisser le temps à la France de se reconstruire, de se réformer. Mais je crois que ce débat est déjà derrière nous : qui conteste aujourd’hui que les 3% sont absurdes et intenables ?
Manuel Valls a-t-il raison de miser autant sur un Medef qui ne joue pas le jeu des contreparties?
L’entreprise est un bien commun, je le disais déjà il y a un an… à Frangy ! Mais les chefs d’entreprises doivent prendre eux aussi leurs responsabilités dans la reconstruction du pays et ne pas jouer les « monsieur plus ». C’est une question de morale et de confiance.
Enlever 11 milliards d’aides aux collectivités locales, n’est-ce pas prendre aussi le risque de casser l’investissement?
Il est possible de trouver un accord. Il y a beaucoup d’économies de fonctionnement à demander, en particulier aux blocs communal et intercommunal. Mais il serait dangereux d’asphyxier la capacité d’investissements des collectivités. Ce serait plomber nos entreprises locales et donc l’emploi. Je demande que l’on soit attentif à nos compatriotes vivant dans les zones rurales et dans les quartiers populaires, comme par exemple en Seine-Saint-Denis.
Quel regard portez-vous sur ce changement de gouvernement?
J’ai beaucoup de respect pour l’action qui a été celle de Benoît Hamon et j’ai une vraie complicité amicale avec Arnaud Montebourg. Mais leur attitude à Frangy-en-Bresse a été un mauvais coup porté au pays et à la gauche. Je ne comprends pas. Ils ont fait le choix de rester au gouvernement après l’annonce du pacte de responsabilité, et ils en sortent au moment même où l’inflexion que nous étions quelques-uns à réclamer s’opère… Maintenant, j’attends des décisions fortes et rapides sur l’emploi des jeunes, la préservation des services publics et les grands investissements d’avenir, singulièrement pour les transports en Ile-de-France.
La gauche peut-elle toucher aux 35 heures?
Non. La gauche perd en crédibilité quand elle détricote une partie de ce qu’elle est et de ce qu’elle a construit par le passé. Comme socialiste, je suis attaché à certains principes. On ne touche pas aux totems du progrès social. A fortiori quand les salariés risquent interpréter ces propositions comme un effort supplémentaire qui leur est réclamé sans contrepartie de la part du monde de l’entreprise.
Craignez-vous pour la majorité à l’Assemblée?
Devant les Français et au nom de la gauche, nous avons un devoir de responsabilité et de « sens de l’Etat ». Je ne crois pas à l’accident législatif. Chacun mesure que l’on n’a pas le droit de contribuer à un nouveau 21 avril, voire de donner les clés de la République à l’extrême-droite. Ni aujourd’hui ni demain, quand on sait que le ticket d’entrée au second tour de la présidentielle sera autour de 22 à 25%… Les socialistes et la gauche dans son ensemble sont dans la nécessité absolue de se rassembler.
Beaucoup y voient le signe d’une Ve République à bout de souffle…
Nous devons mettre nos institutions en cohérence avec le quinquennat, l’inversion du calendrier et le non-cumul des mandats. Ce débat est devant nous, et j’y prendrai prochainement toute ma place.